Louis Jacques BATAILLON

(1914-2009)

par Adriano Oliva, OP

 

Foto_Bata_correttaJacques Henri Bataillon est né le 2 juillet 1914 à Paris. Il obtint la licence de droit en 1934, l’année suivante le diplôme de l’École libre des sciences politiques, dans la section Finances publiques, et en 1937 la licence ès lettres (histoire). Il ne lui sera possible de passer son doctorat en droit qu’en 1942 avec une thèse sur Les justices seigneuriales du Bailliage de Pontoise à la fin de l’Ancien Régime. Ce travail reçut le prix de la meilleure thèse de doctorat de la Faculté de droit (1943).

Ses études avaient en effet été interrompues par le service militaire (1936-1938), qu’il accomplit comme instructeur d’enfants de troupe à Billom. Mobilisé en 1939, il fut capturé au tout début du conflit, et passa environ un an dans un camp de prisonniers au nord de la Pologne occupée. Rentré en France en décembre 1940, il fut démobilisé en mars 1941 pour raisons de santé. Après avoir obtenu le doctorat en droit, il demanda à entrer chez les dominicains dès juin 1943, mais sa santé fragile ne lui permettant pas de supporter les austérités de la vie religieuse, il commença par fréquenter comme externe le Studium du Saulchoir à Étiolles, où il étudiait la philosophie. Le 22 septembre 1945 enfin, recevant le nom de Louis-Marie, il put entrer au noviciat du couvent Saint-Jacques. Pendant les années d’études au Saulchoir, il fut dispensé de suivre la plupart des cours et chargé des tables du Bulletin thomiste. Il profita de ce régime spécial pour lire la Patrologie latine de Migne. Ordonné prêtre le 16 juillet 1950, il se prépara au lectorat et à la licence en théologie, qu’il obtint l’un et l’autre au début de juillet 1952, avec une thèse sur les sources de la notion d’éternité chez Thomas d’Aquin : Le traité thomiste de l’éternité et ses sources médiévales (inédit). Il avait entrepris d’apprendre l’arabe, car ses supérieurs pensaient l’envoyer à l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), que l’on venait de fonder au Caire. Mais le P. Albert Avril, provincial, l’affecta en octobre 1952 à la section salicétaine de la Commission léonine dont le chapitre général de l’Ordre venait de décider la création.

Il prit alors part de façon très active à la réorganisation de la Léonine. Entre 1953 et 1962, il participa à tous les voyages de la Commission à travers l’Europe pour rechercher et photographier les manuscrits de saint Thomas et d’autres auteurs médiévaux. En 1953, parurent les tables des tomes IV-VII du Bulletin thomiste, ainsi que les premières notices bibliographiques signées du P. Bataillon dans ce Bulletin. En 1959, il publia son premier compte rendu dans le Bulletin et inaugura la série des « bulletins d’histoire des doctrines médiévales » dans la Revue des Sciences philosophiques et théologiques. Il résidera au Saulchoir jusqu’en janvier 1973, la section salicétaine de la Léonine étant alors transférée près de Rome, à Grottaferrata.

En octobre 1952, il avait commencé par ailleurs à s’engager dans une association au service de personnes handicapées physiques, à Saint-Fargeau, puis à Ruffey. Il continua à s’occuper de l’animation de cette association, avant tout un groupe d’amis, après son assignation à Grottaferrata.

Ses compétences multiples l’ont amené à de nombreux voyages, pour découvrir ou consulter des manuscrits ainsi que pour participer à différents colloques de médiévistes. Chargé de l’édition critique des Sermons de Thomas d’Aquin, il se livra à une étude systématique des sermons médiévaux et forma des générations de chercheurs en ce domaine. Il est co-fondateur de l’International Medieval Sermon Studies Society. En juin 2006 il remit le manuscrit de son édition critique du corpus des sermons de Saint Thomas, corpus qu’il avait lui-même établi à partir d’une vaste enquête dans les recueils manuscrits de sermons médiévaux. Son édition est parue en juillet 2014.

Auparavant, il avait publié, avec le P. H.-F. Dondaine, le commentaire de Thomas d’Aquin sur la Politique d’Aristote (éd. Léon., t. 48), en restituant le texte d’Aristote commenté par saint Thomas. L’étude des traductions latines d’Aristote a été un autre chapitre très important de ses recherches, ce qui a rendu précieuse sa présence dans le Comité de l’« Aristoteles Latinus ». Il a aussi achevé l’édition du commentaire du De ebdomadibus de Boèce (éd. Léon., t. 50). La bibliographie complète du P. Bataillon paraîtra dans un prochain volume de la « Bibliothèque thomiste » consacré à son édition des sermons de saint Thomas. Une version en ligne est déjà disponible grâce aux soins de S. Piron et D. Calma. Si, au vu de cette bibliographie, on reste étonné par sa puissance de travail, ceux qui l’ont rencontré savent que son érudition s’étendait bien au-delà des domaines de recherche attestés par ses publications. Religieux exemplaire, il a toujours su donner son temps pour écouter et aider ; savant généreux, il a toujours été disponible pour réviser les travaux de ses collègues et pour initier les jeunes aux études médiévales.

Il s’est installé avec la Commission léonine à Paris, au couvent Saint-Jacques, le 10 juin 2003, continuant jusqu’à la fin son activité de chercheur, tout en adaptant son rythme exceptionnel de travail à ses possibilités de plus en plus limitées. Quelques heures avant l’attaque qui le conduirait en une journée à la mort, survenue le 13 février 2009, il travaillait encore avec un jeune chercheur à la révision d’une édition d’Étienne Langton. Travailleur infatigable, maître enthousiaste, il partageait volontiers les résultats de ses recherches. Il a laissé parmi nous un vide énorme, mais un héritage plus grand encore.