Présentation

 

Des « scribes » à Paris au XXIe siècle

par Adriano Oliva, OP

 

La Commission léonine ou Collège des éditeurs des œuvres de saint Thomas d’Aquin réunit un groupe de chercheurs chargés de l’édition critique des œuvres complètes de Thomas d’Aquin (1226 c. – 1274).

Dans le cadre du débat philosophique de la fin du XIXe siècle, le projet de procurer aux savants une nouvelle collection complète des œuvres de ce penseur est né parmi les Frères prêcheurs ; mais ceux-ci n’avaient pas les moyens de l’entreprendre. Ce fut donc le pape Léon XIII qui, en 1879, décida de la publication et la finança. En son honneur, les Frères prêcheurs donnèrent à l’édition le nom de «léonine» (9 novembre 1879).

Depuis 1882, trente-neuf tomes de la collection ont paru et il en reste au moins autant à publier. Évidemment, d’un volume à l’autre, la qualité scientifique de l’édition diffère, mais chaque tome présente un intérêt capital pour l’histoire de la méthode de l’édition critique. La lecture des introductions permet de suivre l’évolution de la critique textuelle et de mesurer la contribution décisive apportée dans ce domaine par la Commission léonine.

Le but d’une édition critique apparaît évident dès que l’on considère comment, au Moyen Âge, les ouvrages scientifiques étaient publiés et diffusés.

Avant l’invention de l’imprimerie, la transmission du savoir se faisait en général oralement ou par des copies manuscrites. Au Moyen Âge, couvrir de mots, souvent abrégés, deux faces d’une feuille de parchemin, requérait des scribes environ une journée entière de travail, ce qui explique, en partie, le coût élevé des ouvrages ainsi confectionnés. Une telle méthode de reproduction entraînait des fautes de copie, souvent mal corrigées. Il devenait alors parfois difficile d’avoir accès à la pensée de l’auteur, d’autant plus que l’on distinguait rarement les rédactions successives d’un même texte.

Pour se rapprocher du texte authentique des ouvrages reproduits par ce procédé, il faut aujourd’hui étudier les manuscrits conservés et éditer l’ouvrage qu’ils transmettent, selon des critères scientifiques qui contribuent aussi à replacer ces écrits dans leur contexte culturel.

Les chercheurs qui travaillent à la Commission léonine lisent et relisent donc les signes tracés, il y a cinq, six ou sept siècles, par les scribes des ouvrages de Thomas d’Aquin, afin de publier un texte qui soit le plus proche possible de l’original et qui rende compte d’éventuelles rédactions successives : en un certain sens, ils continuent ainsi le métier de « scribe ».

Si ce travail se faisait isolément, le risque serait grand que les difficultés rencontrées ne bloquent le progrès de la recherche ; il est donc nécessaire de travailler en équipe : le nom de «Collège des éditeurs des œuvres de saint Thomas d’Aquin» souligne cet aspect de la méthode.

L’instrument de travail le plus important de la Commission léonine est certainement son fonds de manuscrits reproduits sur microformes : environ cinq cent mille photographies, qui constituent le trésor de la bibliothèque. Celle-ci conserve aussi un fonds d’environ dix-huit mille volumes, qui servent plus directement à l’établissement de l’édition critique.

Installé au siège de la Commission léonine,  43 ter, rue de la Glacière, Paris XIIIe, cet ensemble d’instruments de travail s’intègre bien aux propositions du Saulchoir.

Outre la participation à l’animation de cet ensemble culturel, la Commission léonine a instauré des contacts privilégiés avec des institutions scientifiques, notamment avec le Laboratoire d’études sur les monothéismes, l’Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS) et avec le Centre Pierre-Abélard (Université Paris–Sorbonne).

Actuellement, la Commission léonine est totalement à la charge de l’Ordre des Frères prêcheurs. Il s’agit d’assurer les frais annuels de fonctionnement et surtout d’entretenir les chercheurs.

Les œuvres de Thomas d’Aquin sont une référence obligée dans le développement de l’histoire de la pensée occidentale, et d’autres traditions culturelles manifestent aussi un vif intérêt à son égard. La grande considération que plusieurs institutions laïques (universités, centres de recherche, grandes écoles), dans différents pays, accordent à l’édition Léonine est garante de la valeur et de l’utilité du travail accompli par la Commission. Cette institution, en raison des exigences mêmes de son travail, a toujours pratiqué la recherche d’une façon interdisciplinaire, et cela constitue aujourd’hui une grande richesse et la meilleure condition pour de nouvelles collaborations scientifiques.

Il est évident que les premiers destinataires de l’édition critique des œuvres de Thomas d’Aquin sont les chercheurs universitaires ou les spécialistes. Mais ces volumes en grand format, publiés en latin, sont de plus en plus souvent traduits dans les langues modernes, permettant ainsi à un large public de profiter plus directement des écrits de cet auteur qui, peut-être encore aujourd’hui, est plus connu à travers ses disciples que par ses propres écrits.